ANALYSE


Le néo-islamisme, le nucléaire et l’imam caché

Dr. Shahrokh Vaziri

Fondements religieux

Du point de vue théologique, la lutte des partisans d'Ali (shia d'Ali) contre  le pouvoir des califes, constitue la base des différends entre Shi’ites et Sunnites. C'est avec Ali, IVe calife et le premier imam shi’ite, que commence le cycle de l'imamat. L'imamat est dérivé d'imam, et désigne l'institution du pouvoir des imams.Le terme imam signifie  celui qui est debout; le guide spirituel, mais qui participe de l'infaillibilité du prophète.

Le Shi'isme duo-décimain (dominant en Iran) reconnaît une succession de douze Imams sur deux siècles. Le XIIe Imam Mohammad-al-Mahdi, aurait été occulté dès son enfance (une première fois en l'an 874,et une seconde fois en 940 ) à Samarra, ville d’Irak où il naquit. Il devint ainsi "l'imâm caché" (« Incognito » ), ou l’imam de la Résurrection. Il survivrait de façon mystique et demeure le pôle du monde.

Selon la légende, I'imam Mahdi, dit imam Zaman (maître des temps), réapparaîtrait à la fin des temps  pour faire régner la justice, la paix et la prospérité sur le monde (Voir les écrits de Henri Corbin sur le Sh’iisme iranien). Cette légende a beaucoup influencé les activités religieuses et sociales des différentes associations et groupements liés au clergé shi’ite en Iran,

Les mahdaviye

Ainsi, est née en 1954 « Andjoman-e zed-e Bahaï (Association anti-Bahaï, « AZB ») dont le but était de combattre la communauté Bahaï (minorité religieuse fondée au XIXe siècle) par tous les moyens. L’AZB fut fondée par un mollah de Mashhad, le sheikh Mahmoud Zakerzadeh Tavallaï, surnommé « sheikh Halabi ». En dehors de ses activités Anti-bahaï, comme, l’attaque et la destruction des centres de rassemblements des Bahaï, l’association se manifesta également sur le plan du débat religieux en dénonçant les courants religieux concurrents. Toutefois, la radicalisation politique et religieuse en Iran des années 1970, conduit également l’AZB à se remettre en question. C’est pourquoi, elle se transforma à partir des années 1977 en ASSOCIATION HOJJATIYE MAHDAVIYE1 (Hojjat signifie, « preuve » et il s’agit d’une référence au XIIe Imam caché). Aussi, cette radicalisation politique poussa un grand nombre de jeunes militants Hojjatis à rompre avec ce groupe et à rejoindre les différents mouvements extrémistes et Khomeynistes.

Cependant, des mollahs et jeunes radicaux qui n’étaient pas d’accord avec les options religieuses et politiques des Hojjatis, étaient qualifiés – se qualifient - de Sadeghis, en référence à l’école crée par le 6e Imam Shi'ite, Djafar Sadegh,  l’iinitiateur de l’ésotérisme shi’ite à la Médine. Des divergences entre les Hojjatis et Sadeghis s’accentuent au fur et à mesure de l’idéologisation de la religion et l’approfondissement de la crise politique. Sur le plan strictement religieux, les Hojjatis qui sont en grande majorité, issus de l’école théologique de Mashhad privilégiaient les traditions, tandis que les Sadeghis, issus pour la plupart de l’école de Qom, étaient en faveur d’une interprétation religieuse basée sur la « raison ». Selon les Hojjatis, en attendant la réapparition du douzième Imam occulté, la direction du pouvoir spirituel sera séparée de celle du pouvoir temporel. Pour eux, l’arrivée de l’Imam occulté sera accélérée par l’extension du désordre et de la corruption. Cette vision était contestée par les Sadeghis qui estimaient qu’en attendant l’arrivée du 12e Imam, il faut que la communauté soit guidée par un Faghih (docte islamique). Tandis que les Hojjatis mettaient l’accent sur la dimension personnelle de la religion, les Sadeghis mettaient en avant la dimension collective de celle-ci. Du point de vu politique, les Hojjatis dénonçaient les ennemis idéologiques de l’islam (les communistes, les libéraux) tandis que les Sadeghis combattaient les ennemis politiques de la religion.

Surpris par l’avènement de la révolution de 1979 les Hojjatis l’acceptent et s’efforcent de préserver leur influence. Ils infiltrent entre 1979 et 1980, toutes les institutions révolutionnaires comme les gardiens de la révolution, le service du renseignement militaire, l’assemblée consultative, et utilisent ces institutions dans leur lutte contre le parti pro-communiste Toudeh, les Modjahedin du peuple et surtout contre les Bahaï. Quelques anciens membres de l'Associations joueront plus tard des rôles importants dans la République islamique : Rajaï (le 2e président islamique, décédé dans l'attentat de 1981), Velayati (ancien ministre des affaires étrangères et conseiller actuel du Guide), Qarazi (ancien ministre du pétrole), Parvaresh et Tavakoli (anciens ministres) et Khamnei, le Guide actuel.

À la suite d'un discours de Khomeyni critiquant ses positions, l’Association, a annoncé par un communiqué, en juillet 1983, son auto-dissolution. Toutefois, l'Association ne pouvait proclamer sa dissolution, car ses statuts prévoyaient qu'elle ne sera dissoute qu'après la réapparition du 12e Imam caché. Par conséquent, les tendances liées à cette Association sont toujours actives dans les institutions islamiques (voir aussi l'introduction de la brochure, Les groupes dominants et le jeu politique islamique en Iran,dans la rubrique « publications ».

Aujourd’hui

Ces dernières années, les fondamentalistes, attachés à la légende de Mahdi (mahdaviyat, ou mahdaviye) s’activent autours de quelques ayatollahs ultra-réactionnaires, dirigés par l’ayatollah Messbah Yazdi, qui a nié, dans un discours récent, la nécessité du recours au vote populaire dans la République islamique.

Afin de réactualiser le mythe du retour de Mahdi, les protagonistes ont reconstruit une mosquée où selon leur légende l’Imam Mahdi aurait fait sa réapparition il y a quelques siècles et aurait tenu des propos, utilisés à des fins propagandistes par les dirigeants actuels. C’est ainsi que la Mosquée du village de Jamkaran (http://www.jamkaranqom.ir/), près de la ville sainte de Quom est devenue un lieu de pèlerinage, non seulement pour une partie descroyants,mais également et surtout pour la ligne fondamentaliste animée par Mesbah Yazdi et Le guide Khamnei, qui s’efforcent  de recouvrer une nouvelle légitimité religieuse.

Or, il faut savoir que le président Ahmadinejad a été le candidat de cette école de pensée et depuis son « élection »(dans les conditions anti-démocratiques), il n’a manqué aucune occasion de se référer directement ou indirectement à la réapparition prochaine de Mahdi. Un article de Scott Peterson, paru dans The Christian Science Monitor du 21 décembre 2005 et un autre article de Daniel Pipes paru dansNew York Sun, du 10 janvier 2006, mettent en évidence pour les Occidentaux, le comportement étrange d’Ahmadinejad et des membres du pouvoir exécutif islamique.

La nouvelle idéologie néo-islamiste élaborée par une partie du pouvoir théocratique est un mélange hybride entre le messianisme religieux et le messianisme socio-politique.

En se mesurant aux puissants de ce monde, en exprimant des convictions antisémites, Le Président actuel et ses disciples, croient précipiter l’avènement d’un salut. Le nucléaire n’est qu’un moyen de la réalisation de cette stratégie politico-mystique. Certes, on parle de paix pour l’humanité, mais cette paix n’est rendue possible, d’après leur doctrine, qu’après une bataille décisive qui préparerait les conditions de l’avènement de Mahdi.

Ce genre de mouvement messianique a bien existé (et existe) en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Seulement, aucun des mouvements messianiques ne dirige un Etat et ne possède un arsenal nucléaire. C’est pourquoi, le jusqu’auboutisme apocalyptique des dirigeants islamistes risque d’aboutir à  une confrontation généralisée avec le monde Occidental et de mettre en question l’intégrité de l’Iran.

Il est évident qu’un système totalitaire dirigé par les utopistes mystiques peut s’avérer plus dangereux que le même, dirigé par les pragmatiques.

SH.V. Le 23 janvier 2006

 



 

 


«Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait.»

Voltaire, 1765.

 

شيخي بزني فاحشه گفتا: مستي،
هر لحظه بدام دگري پا بستي؛
گفتا: شيخا، هر آنچه گوئي هستم،
آيا تو چنانكه مي نمائي هستي؟